La nouvelle génération reçoit un monde qui n’est pas complètement gâté. Il ne reçoit pas de ruines, mais d’énormes défis. Espérons qu’il n’utilise pas d’outils rouillés pour le réparer. Photo SHUTTERSTOCK
Ceux qui suivent de près ou prennent une part active aux développements technologiques mondiaux l’ont certainement remarqué : aux États-Unis, il y a une attitude neutre vis-à-vis des développements, tandis qu’en Chine, les nouveautés, après avoir reçu l’approbation du Parti communiste, sont considérées avec grand optimisme. En Europe, nous avons tendance à considérer les nouvelles inventions avec un fort scepticisme, qui d’une part favorise des approches plus prudentes, mais d’autre part peut produire confusion et paralysie, un nihilisme complètement contre-productif. Un bon exemple de cette attitude ambiguë est le livre “Les Idées Nouvelles” de Rémy Noyon et Philippe Vion-Diri, aux éditions Polis, avec une très bonne traduction de Valia Kaimaki. La tentative est doublement intéressante car elle nous révèle la manière dont les trentenaires éduqués et cosmopolites d’Europe voient l’avenir.
Les jeunes écrivains – tous deux nés en France en 1990 – aspirent à présenter l’actualité du marché des idées, en un seul volume, une aventure plutôt audacieuse. Cependant, ils font mieux dans la partie informative, et fournissent au lecteur un patchwork assez bon et bien documenté de développements – bien qu’ils n’incluent pas d’événements majeurs tels que la révolution de l’apprentissage automatique et de l’intelligence artificielle. En général, leur travail reflète clairement la richesse des idées qui émergent aujourd’hui dans le monde moderne. Comme nous tous, bien sûr, ils sont biaisés. Mais ce n’est pas le problème avec leur travail autrement utile.
Académisme inutile
Noyon et Vion-Diri sont captifs d’une approche ambivalente, peut-être inutilement académique, qui se laisse emporter par la complexité et coule dans la négativité. A la lecture de leur étude, on sent que les éléments des idées qui composent le monde d’aujourd’hui, sont tous collectivement négatifs. En d’autres termes, les auteurs perdent presque tout l’espoir, mais aussi les nouvelles idées purement positives qui sont mises en œuvre aujourd’hui et rendent la vie dans le monde bien meilleure. Au lieu de cela, ils préfèrent souvent se concentrer sur des idées très controversées – sinon pratiques – telles que le sous-développement. La lecture du présent se fait dans une lumière clairement sombre, et les phrases formulées s’inspirent du romantisme, de l’ambiguïté et des désirs pieux. Il est logique pour quelqu’un de plus cynique de le dire. Nous parlons de personnes jeunes et pleines qui sont nées avec Internet et toute la bizarrerie que cela a apportée. Ils peuvent se permettre de penser au-delà de la survie, mais en même temps, leurs perspectives financières sont bien pires que celles de leurs parents.
On s’attendrait à ce que les jeunes qui parlent d’avenir soient plus libérés, qu’ils aient moins d’aveugles…
Leur ambivalence face à l’avenir rend difficile le type d’émancipation consciente qu’ils veulent déclencher. Qui sera persuadé de suivre ce fil de pensée quand il ne verra autour de lui que chaos désorganisé et déclin progressif ? Seul un rêveur désespéré de tranchées. Et c’est plutôt une conséquence involontaire. L’alternance sans fin des perspectives est biaisée en faveur d’une pensée néo-marxiste floue et dépassée, qui conduit plutôt à la paralysie. Avec de vieux slogans, vous ne produisez pas de nouvelle pensée politique, ni d’analyse originale. À de nombreux moments, les écrivains ne semblent pas sûrs de ce qu’ils veulent. Ils sont ambivalents envers non seulement l’avenir, mais aussi le présent et le passé. Suivre le fil de leur pensée tombe fatalement sur un mur, pas trop mou c’est vrai. Dénoncer l’avenir revient à renoncer au présent. C’est le piège.
Un autre critique pourrait décrire le récit des écrivains comme une approche hipster du politiquement correct de gauche, où tout va mal aujourd’hui et rien n’est sauvé, à moins que de nouveaux utopistes ne prennent les devants. Même s’ils essaient de dire quelque chose comme ça, nous devrions les écouter attentivement. Dans la liste des choses qui les intéressent figurent le revenu de base garanti, le véganisme, l’humanisme, le populisme, les crypto-monnaies, le féminisme, le dé-développement et l’ombrisation, mais sans parler des grandes possibilités que la technologie donne à l’éducation, à la santé, au climat , ou dans la lutte contre la corruption et la bureaucratie. Leurs priorités nous montrent probablement ce qui suit dans le domaine des réclamations.
Pour influencer l’avenir, vous devez savoir ce qui s’est passé dans le passé, mais vous devez également comprendre ce qui se passe dans le présent. Vous devez également avoir une humeur plutôt optimiste. Aujourd’hui, il est très facile de naviguer dans le paysage des nouvelles idées – Internet a rendu l’information incroyablement facile. Ce qui manque, c’est la gestion de la complexité, la rédaction de demandes pratiques. Il est facile d’exposer les dimensions de la complexité, mais terriblement difficile de la cadrer, de la simplifier et de la rendre gérable. Peut-être sommes-nous ici confrontés à un problème plus général de radicalisme superficiel. Maximalisme, démonstration d’intelligence et de connaissances, et mauvaise conception, pragmatisme inexistant. Ambivalence et relativisme envers tout, même envers le bien. Avec cette incapacité à reconnaître le positif, le négatif devient une impasse à grande échelle, c’est-à-dire le meilleur substitut à l’exploitation par les commerçants du désespoir, qui sont souvent les populistes.
Mais ne soyons pas trop stricts avec les plus jeunes. L’ambivalence est légitime, car elle laisse place au changement. Plus dangereux est le fatalisme et le pessimisme profond. On s’attendrait simplement à ce que les jeunes qui parlent de l’avenir soient plus libérés, qu’ils soient moins dépendants des générations plus âgées, qu’ils aient moins d’œillères. Surtout en Europe, notre ambivalence peut devenir très productive. La nouvelle génération reçoit un monde qui n’est pas complètement gâté. Il ne reçoit pas de ruines, mais d’énormes défis. Espérons qu’il n’utilise pas d’outils rouillés pour le réparer.